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En Espagne, le monde à l’envers

Jean Ortiz. L’Humanité, | 23 abril 2010

Pourquoi le juge Garzon risque-t-il d’être suspendu de ses fonctions ?

 

Par Jean ORTIZ, universitaire à Pau*.

Une étrange coalition au sein du pouvoir judiciaire espagnol entre des juges « de gauche » et le bloc néofranquiste s’apprête à suspendre de ses fonctions le très médiatique juge Garzon, parfois critiqué pour ses initiatives. Mais aujourd’hui, fous ceux qui font la fine bouche  ! Le juge Garzon est poursuivi pour « prévarication » (être allé au-delà de ses compétences juridiques) par les groupes fascistes Mains propres, Identité et liberté, et par les restes du parti franquiste, Phalange espagnole. Il est l’objet de deux autres poursuites, pour écoutes illégales dans l’affaire Gurtel, immense scandale de corruption et de financement illégal du Parti Populaire, et pour des cours à l’université de New York, affaire déjà classée, et relancée par l’ultradroite judiciaire. Mais le fond de l’affrontement repose sur la mise en cause du franquisme. Pour les familles des victimes, que Garzon soit mis au banc des accusés par des groupuscules fascistes, c’est le monde à l’envers. De nouvelles souffrances… L’étrange coalition anti-Garzon témoigne du verrouillage, par le système politique, d’une « transition » que Franco a voulu intouchable, et dont la pièce maîtresse reste la loi d’amnistie-impunité du 15 octobre 1977. Le 16 octobre 2008, le juge Garzon décidait d’ouvrir une instruction sur les disparus de la guerre civile et du franquisme, entre 130 000et 150 000, à la demande des associations mémorielles et des familles. L’ordonnance qualifiait les faits de « crimes contre l’humanité ». La réaction fut tellement violente que Garzon dut se dessaisir du dossier un mois plus tard. Depuis, le troupeau conservateur et quelques brebis égarées se sont juré de faire la peau au juge. La justice espagnole, capable de poursuivre des criminels en Amérique latine, bétonne dès lors qu’il est question de faire la lumière sur les crimes du franquisme et sur le néofranquisme encore enkysté dans la société espagnole. Pour les associations judiciaires progressistes, « contester la loi d’amnistie sur la base du droit international ne saurait constituer un délit » (El Pais, 10 avril 2010). Les deux grands syndicats, CCOO et UGT dénoncent la « persécution » du juge « qui compromet gravement l’État de droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire ». L’un des exécuteurs de Garzon, le juge Adolfo Prego, est membre de la néofranquiste Association de défense de la nation espagnole. L’ordonnance dictée contre Garzon par le magistrat « progressiste » Luciano Varela, du Tribunal suprême, surprend par sa virulence. Globalement, le pouvoir fait profil bas. Zapatero a rendu hommage au « courage » du juge pour sa lutte… contre le terrorisme basque (El Pais, 8 mars 2010). La plupart des officiels arguent de la non-rétroactivité des lois. Pour Miguel-Angel Rodriguez, professeur de droit international, cet argument est irrecevable  : « Depuis Nuremberg, dès lors qu’il y a crime contre l’humanité, ils sont imprescriptibles. » Le pacte international de droit politique et civil de 1966, ratifié par l’Espagne avant la loi d’amnistie, oblige à juger tous les crimes et remet en cause cette loi de « point final ». La convention européenne des Droits de l’homme (art. 7-2), à laquelle l’Espagne a adhéré, dit la même chose. Ces traités internationaux, priment sur la loi espagnole. Le Tribunal européen des droits de l’homme a déclaré incompatibles les lois d’amnistie avec l’obligation d’enquêter sur les actes de barbarie.

La mobilisation s’amplifie  : 51 % de l’opinion publique sympathise avec le juge (El Pais, 11 avril 2010). Tout le monde, à droite comme à gauche, a des comptes à régler avec Garzon, qui a instruit les affaires des barbouzes du GAL, Filesae (financement illégal du PSOE), l’actuelle Gurtel, le terrorisme de l’ETA… La probable destitution d’un juge qui dérange vise à protéger l’impunité du franquisme et à donner un coup d’arrêt au combat pour reconquérir la mémoire et la République en Espagne. Elle serait un naufrage pour la démocratie espagnole.

 

* Appel à soutenir Garzón: jean.ortiz@univ-pau.fr

http://www.humanite.fr/2010-04-20_Idees-Tribune-libre-Histoire_En-Espagne-le-monde-a-l-envers